Localisation et contribution de sources acoustiques

UNIVERSITÉ DE GRENOBLE

ÉCOLE DOCTORALE EEATS

Électronique, Électrotechnique, Automatique et Traitement du Signal

 T H È S E

pour obtenir le titre de

Docteur en Sciences

 

de l’Université de Grenoble

Mention : SIGNAL, IMAGES, PAROLE ET TÉLÉCOMMUNICATIONS

 

Présentée et soutenue par

Benoit OUDOMPHENG

Localisation et contribution de sources acoustiques de navire au

passage par traitement d’antenne réduite

 

 

Thèse dirigée par Barbara NICOLAS

préparée au laboratoire Grenoble Images Parole Signal Automatique

(GIPSA-Lab)

soutenue le 3 Novembre 2015

Jury :

Rapporteurs : Yann STÉPHAN – SHOM

Jean-Hugh THOMAS – LAUM

Directeur : Barbara NICOLAS – CREATIS

Président : Jérôme I. MARS – GIPSA-Lab

Examinateurs : Sylvie MARCOS – LSS

Salah BOURENNANE – Insitut Fresnel

Invités : Dominique FATTACCIOLI – DGA Techniques Navales

Lucille LAMOTTE – MicrodB

Introduction

Avec le développement du commerce mondial au cours des dernières années et l’industrialisation des pays asiatiques fortement peuplés, le secteur des transports s’est développé fortement dans les domaines maritime, terrestre et aérien. Cette recrudescence soulève des problèmes de consommation énergétique mais également de pollution atmosphérique relative à la présence de particules et de gaz nocif dans l’air. L’impact environnemental du secteur des transports est également de nature acoustique, on parle désormais de pollution sonore et la préservation du paysage acoustique est au coeur des préoccupations des industries du transport. Cette pollution sonore est relative aux niveaux d’émissions sonores des véhicules qui peuvent nuire à la santé des humains mais également de tous les êtres vivants sur Terre.

Des avancées sur la régulation de la pollution acoustique des transports ont eu lieu au travers de plusieurs normes internationales mises en place par l’Organisation Internationale de Normalisation (ISO) dans le domaine automobile [ISO 1990, ISO 2007, ISO 2009c, ISO 2015], dans le domaine aérien [ISO 2004, ISO 2009b], dans le domaine ferroviaire [ISO 2013] et dans le domaine naval [ISO 2008, ISO 2009a, ISO 2012, ISO 2014]. Ces normes en vigueur ou en cours d’élaboration visent à définir des méthodes de mesures du bruit rayonné par les véhicules de transport au passage et spécifier des seuils maximaux de niveaux de pression acoustique rayonnée à ne pas dépasser. Afin de respecter ces normes les constructeurs de véhicules de transport intègrent des contraintes acoustiques dans leur procédure qualité en phase de prototypage, de conception et de mise en circulation.

 

Étude du bruit rayonné par un véhicule au passage

Le domaine de la mesure du bruit rayonné par un véhicule au passage à l’aide d’une antenne acoustique a connu de nombreux développements pour son aide au diagnostic pour les constructeurs et équipementiers de véhicules de transport. En effet, les normes actuelles préconisent des mesures mono-capteur délivrant une mesure du spectre global de pression rayonnée en un point de mesure en champ lointain du véhicule de transport au passage. De telles mesures mono-capteur ne présentent qu’un intérêt de certification de véhicule mais n’aide que peu au diagnostic en vue d’une procédure de réduction de bruit rayonné. Les méthodes de traitement d’antenne analysant le bruit de passage ont pour objectif d’établir une cartographie acoustique du véhicule en vue d’identifier les sources acoustiques d’un véhicule.

Ces sources correspondent aux zones d’émissions acoustiques du véhicule qui sont générées par un phénomène mécanique ou hydrodynamique. Ainsi, plusieurs travaux de recherches sur des méthodes de traitement d’antenne dédiées au bruit de passage ont été publiés dans le domaine ferroviaire [Barsikow 1987, Poisson 1996, Bruhl 2000, Mellet 2006, Courtois 2012], dans le domaine automobile [Kook 2000] et dans le domaine aéronautique [Mueller 2002, Brusniak 2006, Siller 2010, Fleury 2011, Sijtsma 2012]. La figure 1 donne un exemple de configuration expérimentale déployée pour l’étude du bruit de passage d’un avion avec une antenne plane de microphones instrumentée au sol.

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FIGURE 1 – Exemple de configuration expérimentale pour l’étude du bruit de passage d’un avion avec une antenne plane de microphones au sol. Figure extraite de l’article de Siller et [Siller 2010].

Ces études par antennerie permettent d’accéder à une information de localisation des sources acoustiques et de contribution de ces sources acoustiques à la signature acoustique globale du véhicule. Ces informations sont utiles au contructeur de véhicule puisqu’elles lui permettent d’identifier l’élément physique du véhicule qui rayonne le plus grand niveau de pression acoustique et donc qui est l’élément produisant la plus grande nuisance sonore. La figure 2a donne un exemple de définition de zones sources dans la cartographie acoustique d’un avion. La figure 2b présente une estimée des contributions de chaque zone source correspondant à un élément physique de l’avion, ces résultats ont été publiés dans l’article de Fleury et al. [Fleury 2011]. Ces résultats montent que la principale composante large bande (en violet) du bruit rayonné par cet avion est produite par le moteur et que les sources acoustiques des ailes contribuent à la composante tonale au bruit rayonné par l’avion au vu des spectres en trait rouge et trait bleu, sur la figure 2b. Pour réduire le bruit rayonné par cet avion, le constructeur étudiera donc la source acoustique de moteur pour la composante large bande et les sources acoustiques des ailes pour la composante tonale.

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Enjeux scientifiques pour le domaine maritime

Les transports maritimes sont également de nombreuses sources de pollution environnementale, notamment de pollution sonore. En effet, en milieu sous-marin, les ondes acoustiques se propagent à de longues distances du fait de la faible atténuation de propagation.

Ainsi, les sources acoustiques de navires telles que celles générées par les machines internes, le propulseur et l’hydrodynamique génèrent un champ de pression acoustique sous-marin de fort niveau et de longue portée notamment pour les basses fréquences. Ces niveaux de bruit rayonné deviennent une problématique majeure pour l’environnemnet, en particulier la faune sous-marine dans les zones littorales. La figure 3 présente un exemple de spectre de bruit rayonné par le navire cargo M/V Overseas Harriette pour différentes vitesses exprimées en tours par minute (RPM), publié dans l’article de Arveson et al. [Arveson 2000].

Cet exemple donne un ordre de grandeur des niveaux de pressions acoustiques que peuvent rayonner les navires en circulation. La figure 3 montre que l’énergie maximale est contenue dans la bande fréquentielle [10Hz; 200Hz].

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FIGURE 3 – Spectres en bande de tiers d’octave du bruit rayonné par le cargo M/V Overseas

Harriette à différentes vitesses correspondant à différents régimes moteur exprimés en tours par minute (RPM). Figure extraite de l’article de Arveson et al. [Arveson 2000].

Dans ce contexte, la Commission Européenne a adopté la Directive-Cadre Stratégie pour le Milieu Marin le 17 Juin 2008 (DCSMM) [Directive 2008]. Cette directive-cadre préconise aux acteurs navals de prendre des mesures pour limiter le bruit rayonné par le trafic maritime dans les zones littorales (paragraphe 11) et pour surveiller les bandes de tiers d’octave de fréquences centrales 63 Hz et 125 Hz. Ces bandes de tiers d’octave contiennent des fréquences qui possèdent une longue portée et correspondent aux fréquences les plus énergétiques du bruit rayonné par la plupart des grands navires. Les préconisations de la DCSMM motivent le développement de différents types de méthodes :

  • des méthodes pour la surveillance du bruit rayonné par les navires en zones littorales, à l’échelle du trafic maritime
  • des méthodes de réduction du bruit rayonné par les navires de surface
  • des méthodes pour la mesure de la signature acoustique d’un navire au passage

À l’échelle du trafic maritime, des outils de prédiction du bruit rayonné par le trafic maritime dans des zones côtières ont été développés au cours de ces dernières années dans le cadre de la DCSMM. Par exemple, la société Quiet-Oceans propose un outil de prédiction statistique du bruit rayonné par le trafic maritime, Quonops c [Folegot 2012], dans l’objectif de surveiller les niveaux de pression acoustique rayonnée par le trafic maritime dans les zones littorales. Quonops c utilise des données de type Automatic Identification Systems (AIS) identifiant chaque navire [Merchant 2012] et utilise des modèles de sources acoustiques ponctuelles dont la pression acoustique est définie en fonction des caractéristiques du navire. Dans la même idée, le logiciel Listen to the Deep-Ocean (LIDO) du laboratoire de bioacoustique de Catalogne est un outil de prédiction permettant d’évaluer l’impact du bruit de trafic maritime sur la faune bioacoustique au travers de niveau de pression d’exposition et de critères bioacoustiques [André 2011]. Ces outils de prédiction à l’échelle du trafic maritime permettent donc de répondre au besoin de surveillance acoustique des zones littorales.

À l’échelle individuelle d’un navire, des premiers travaux ont été réalisés à l’échelle européenne concernant les méthodes de réduction du bruit rayonné par les navires. Le projet collaboratif européen Suppression Of underwater Noise Indiced by Cavitation (SONIC) a permis de financer des recherches sur des méthodes de réduction du bruit rayonné par la cavitation d’un propulseur de navire de surface. Dans ce projet de recherche, un propulseur a été étudié individuellement dans un tunnel hydrodynamique afin de caractériser son rayonnement acoustique. De plus, un second projet collaboratif européren Achieve QUieter by shipping nOise footprint reduction (AQUO) [Audoly 2014] qui ont sur l’impact environnemental que cela engendre.

Concernant la mesure de la signature acoustique d’un navire au passage, des normes de mesures mono-capteur sont en cours d’élaboration pour définir des méthodes de mesure de la signature acoustique d’un navire de surface au passage [ASA 2009, ISO 2012, ISO 2014].

Ces mesures mono-capteur permettent d’attester du niveau de pression acoustique rayonné par le navire mais ne permet pas de fournir de diagnostic acoustique en vu du réduction du bruit rayonné. Ainsi, des premières solutions ont été proposées pour répondre aux préconisations de la Communauté Européenne. Des outils de prédiction numériques permettent d’attester de niveaux globaux de pression acoustique rayonné par le trafic maritime dans les zones littorales. Des travaux ont également été menés afin d’étudier l’impact environnemental du rayonnement acoustique des navires et des méthodes de réduction du bruit rayonné par les navires ont été proposées notamment pour réduire le bruit lié à la cavitation des propulseurs. Des premières méthodes de mesures mono-hydrophones de signature acoustique de navire sont proposées mais ne permettent pas une discrimination spatiale des sources et n’ont donc qu’un intérêt de certification. Des mesures par antennes acoustiques permettent d’avoir des informations de localisation de sources et de contribution de sources qui peuvent aider, par exemple, au diagnostic en vue d’une réduction du bruit rayonné par un navire, comme il l’est pratiqué pour les véhicules terrestres et aériens. Des premiers résultats de localisation de sources ont été publiées par De Jong et al. concernant des mesures du bruit de passage d’une maquette de frégate d’environ 10 mètres de long dans le bassin des carènes de la société MARIN à des vitesses inférieures à 3m.s-1. Ces mesures ont été réalisées avec une antenne linéaire d’hydrophones et les résultats de localisation bien que limités en résolution sont prometteurs [Jong 2009].

Outre le fait d’aider au diagnostic acoustique, l’information de localisation des sources et de contribution des sources est utile à la validation de modèles de simulation numérique. En effet, la simulation numérique permet de prédire le bruit rayonné par les différents composants d’un navire, il est cependant nécessaire d’avoir recours à des méthodes expérimentales afin de valider les performances de prédiction des modèles numériques. Enfin, un dernier intérêt scientifique des méthodes de traitement d’antenne est que ces méthodes expérimentales permettent aux acousticiens du naval de comprendre des phénomènes compliqués de rayonnement acoustique qui ne sont actuellement pas modélisés. En effet, de nombreuses sources acoustiques existent au niveau d’un navire de surface et ces sources intéragissent souvent entre elles. Les méthodes de traitement d’antenne permettent de localiser et d’estimer la contribution des sources permettant ainsi de décomposer la signature acoustique du navire. Par exemple, les sources acoustiques encore mal connues théoriquement sont celles associées à la brisure de la vague d’étrave [Jong 2009] ou à la brisure des bulles de cavitation [Kuiper 1981]. De nombreuses recherches restent à être mener dans le domaine du traitement d’antenne pour l’analyse du bruit de passage de navire de surface et leur intérêt est motivé par les possibilités de ce type de méthodes évoquées dans le paragraphe précédent.

Objectifs de la thèse

Dans ce contexte, le projet Antenne Réduite Multi-Analyse pour la Discrétion Acoustique (ARMADA) du Régime d’Appui Pour l’Innovation Duale (RAPID) de la Direction Générale de l’Armement (DGA) a été construit et réalisé. Le projet ARMADA a été réalisé en collaboration avec la société MicrodB du groupe VibraTec et le laboratoire GIPSA-Lab. La dualité de ce projet se traduit par le développement d’un procédé industriel de mesure par antenne acoustique :

  • dans un objectif civil de caractérisation de sources acoustiques sous-marines d’une infrastructure sous-marine ou d’un navire civil
  • dans un objectif militaire de caractérisation de la signature acoustique sous-marine d’un navire pour la discrétion acoustique

Les méthodes de caractérisation de sources sont des méthodes de localisation, de contribution et de séparation. Un démonstrateur de ce procédé industriel a été conçu et validé expérimentalement avec l’étude d’un navire de surface au passage au-dessus d’une petite antenne d’hydrophones au Site d’Essais Sonar et Acoustique du lac de Castillon (SESAC) appartenant à la DGA. Cette thèse CIFRE-Défense s’inscrit dans le cadre du projet ARMADA. Le premier objectif de cette thèse est de proposer une méthode expérimentale par traitement d’antenne pour l’estimation de la localisation et de la contribution de sources acoustiques sous-marines de navire de surface en mouvement. Le second objectif de cette thèse est de dimensionner une expérimentation de mesure de bruit de passage de navire de surface permettant de caractériser les sources acoustiques sous-marines du navire. La configuration expérimentale, proposée et réalisée au SESAC, consiste en l’utilisation d’une antenne linéaire horizontale immergée et d’une maquette de frégate à l’échelle 1/5ème en mouvement rectiligne uniforme parallèlement à l’antenne. Cette configuration permet une discrimination spatiale des sources dans la longueur du navire dans un milieu semi-infini évitant les problèmes de confinement constatés dans l’expérimentation de De Jong et al. [Jong 2009]. Ces expérimentations au lac de Castillon sont nouvelles dans le domaine naval publique et ont permis de valider le procédé industriel de caractérisation de sources avec une antenne réduite pouvant répondre aux besoins de la DCSMM.

Organisation de la thèse

Le chapitre a présenté une introduction du contexte de la thèse et les motivations pour le développement d’outils de caractérisation de sources acoustiques sous-marines de navire de surface en mouvement. Le chapitre 1 présente une étude bibliographique du rayonnement acoustique sous-marin d’un navire de surface et propose la modélisation simple et analytique de quelques sources typiques de navire de surface. De plus, dans cette partie, la modélisation de la propagation acoustique sous-marine selon la théorie des rayons est présentée. La modélisation de quelques sources et de la propagation acoustique a permis la construction d’un simulateur de rayonnement acoustique de navire qui a été utilisé pour appliquer les méthodes de caractérisation de sources proposées dans cette thèse. Le chapitre 2 présente la méthode initiale de localisation de sources et de contribution de sources construite à partir des méthodes de la littérature. Cette partie présente également les différentes améliorations de la méthode initiale proposées au cours de cette thèse. Les performances en localisation et en contribution de sources de la méthode initiale et de ses améliorations sont évaluées sur des simulations.

Le chapitre 3 présente deux campagnes de mesures de validation des méthodes de caractérisation de sources développées au cours de cette thèse. La première campagne de mesures est une expérience académique aérienne de tractage de mobile sur un rail de guidage parallèlement à une antenne linéaire de microphones. La seconde campagne de mesures consiste en une expérience de tractage de maquette de navire de surface parallèlement à une antenne linéaire d’hydrophones immergée.

Le chapitre 3.4 tire des conclusions et propose des perspectives d’axes de recherche pour la suite de ces travaux.

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